• Chapitre III: Partie 2

     

     Si vous n'avez pas lu le début de cette fiction (l'Héritier des Dieux), ne lisez pas cet article. Le début de la fiction est ici. 

       Il releva la tête dans un soupir. Rien n’avait changé. Qu’est-ce qui aurait pu changer ? C’était toujours le même charnier de corps décomposés jusqu’à l’os. Il voyait juste un peu plus l’intérieur de la citadelle ravagée. C’était étrange, les poutres calcinées et les murs noircis laissés savoir comment les Éméréens avaient incendiés Dem’Breck. Et pourtant la végétation recouvrait chaque parcelle des ruines brûlés, chaque brique des murs noirs comme la suie, chaque cendre de la grandeur de Dem’Breck. Comme l’union du feu et de la nature. Les décombres devant Seto avaient dû formées une place auparavant. Il y avait une fontaine délabrée au centre et tout autour des maisons brisées. La fontaine était surplombée d’une statue méconnaissable tellement la nature l’avait recouvert et rongé. Un squelette désarticulé était accroché à la statue par des larges sangles en cuir. Il portait encore une armure, cabossée et rouillée. Un rosier lui avait grimpé entre les os. Mais une seule rose avait éclos en ce début de printemps. Elle était d’un rouge écarlate et ouvrait ses pétales dans l’orbite droite de son crâne. Un panneau lui avait été attaché autour du torse, mais maintenant il était couvert de lierre et illisible. Seto s’approcha du corps. Lentement. Avec une boule au fond de son ventre et un nœud dans sa gorge. Quelque chose l’attirait inexorablement vers le corps, c’était quelque chose de tangible. Il approcha doucement sa main du fauchon rouillé qui tenait fébrilement à la ceinture du cadavre. Son bras s’arrêta en plein mouvement quand il se rendit compte de ce qu’il faisait. Qu’est-ce qu’il se passerait s’il dépouillait un corps ? Est-ce que l’âme du défunt pourrait le voir ? Est-ce qu’elle allait se venger ? Il ne faisait que regarder après tout. Il posa sa main sur le pommeau du fauchon.

    - Je ne ferais pas ça si j’étais vous, étranger.

       Un frisson traversa le dos de Seto. La voix était grave mais posé, c’était la voix de quelqu’un qui avait déjà bien connu la vie, qui s’était trouvé. Pourtant elle gardait un soupçon de mépris. Seto se retourna lentement vers la voix. Un homme se tenait entre les débris d’une maison non loin. Il pointait une arbalète sur Seto et dans son dos était accroché deux épées larges comme une main. Seto n’avait aucune arme et de toute façon l’homme était bien trop loin.

    - On m’avait appris à respecter les morts quand j’étais plus jeune.

       L’homme commença à marcher vers Seto. En marchant il maintenait l’arbalète prêt à tirer. Alors qu’il approchait Seto pût distinguer son visage. Il devait avoir une dizaine d’années de plus que lui. Ses cheveux étaient bruns, presque châtains sur certaines mèches. Son visage était celui d’une statue sur laquelle on n’aurait pas eu le temps de poncer les arrêtes. Chaque os dessinait un trait fin et abrupt sur son visage émacié. Une légère barbe naissante se dessinait sur ses joues à même sa mâchoire. L’homme s’arrêta brusquement alors qu’il était à une dizaine de mètres de Seto. Il dévisagea ce dernier en abaissant son arme.

    - Tu… Tu es mort…

       Seto fronça les sourcils un instant. Qu’est-ce qu’il voulait dire ? Ça ne devait être qu’un fou qui errait ici. Et peu importe il ne pointait plus son arbalète vers Seto. C’était le moment. Il s’élança vers la maison la plus proche. S’il ne courait pas assez vite il recevrait un carreau entre les deux omoplates. La proximité de la mort… C’était enivrant. Il lui semblait courir plus vite qu’il n’avait jamais couru. Alors qu’il sautait par-dessus un débris pour rentrer dans la maison en ruine, un trait d’arbalète siffla près de son oreille et se planta dans le mur à moins d’un mètre de lui.

    - Qui es-tu ?!

       La voix avait changé radicalement, ce n’était plus cette voix posée, c’était une voix brisée qui lui déchirait les cordes vocales.

    - C’est ton corps qu’on a accroché là ! Je l’ai vu… Tu es mort… Tu es un Spectre, c’est ça ?

       Le cœur de Seto faisait tremblait son corps tout entier à chaque battement. L’ivresse de la proximité de la mort c’était estompée. Maintenant il réalisait mieux ce qui était en jeu. Sa vie, en somme. Alors Seto s’élança à nouveau à travers la maison en ruine. Il sauta par-dessus ce qui avait dû être le toit de la bâtisse et arriva au milieu d’une large rue couverte de cadavres. Derrière lui l’homme s’était mis à courir lui aussi et désormais il rechargeait son arbalète. Il était sur les talons de Seto. Si proche. Trop proche. Le bruit si particulier du tir d’une arbalète retentit alors que Seto sentit une vive douleur paralyser son mollet. Pendant un court instant sa jambe se figea, et il trébucha pour finalement tomber sans force sur une armure rouillée et couverte de sang coagulé depuis longtemps. Il pressa sa main contre son mollet pour empêcher son sang de coulait. Il le son sang s’écoulait entre ses doigts. Mais la blessure n’était pas si grave, le trait n’avait pas du toucher une grosse veine vu le peu de sang qui s’échappait de la blessure. Le froid de l’acier recouvrait le cou de Seto. Alors il se retourna en grimaçant de douleur. L’homme le menaçait d’une de ses deux épées et avait accroché l’arbalète à sa taille. Sa mâchoire était férocement contractée et faisait ressortir ses traits aiguisés. Mais il voyait que ses yeux étaient rouges et que ses joues étaient couvertes de larmes. Il déglutit puis demanda d’une voix brisée par les larmes et pourtant tremblante de rage :

    - Tu n’es pas Nanor. Nanor est mort. Alors qui es-tu ?

    Les deux hommes se regardèrent un instant. Seto perdit sa grimace de douleur pour une mine stupéfaite.

    - Tu as connu mon père, articula Seto.

    - Ton père ?

    La lame que l’homme dirigeait vers Seto tremblait. Finalement il abaissa sa lame et dévisagea Seto dans une expression défaite.

    - Seto ?

    Ce dernier dévisagea l’homme. Comment il connaissait son nom ? C’était un ami à son père ? L’homme qui lui paraissait si droit et fier se laissa tomba à genoux et planta ses yeux jaunes et les planta dans les siens.

    - Je… Je… Tu sais qui je suis ? Délia est encore en vie ? Elle va bien ?

    Le flot de question ne s’arrêtait plus, les mots jaillissaient de sa gorge et les larmes de ses yeux. Seto posa sa main sur son épaule pour lui dire de se taire :

    - On va commencer par les bases, d’accord ? Premièrement j’ai un trait d’arbalète dans la jambe. Deuxièmement ce trait d’arbalète c’est toi qui l’a lancé. Et troisièmement j’ai aucune idée de qui tu peux être.

    L’homme commença à sortir des bandages et des herbes d’une sacoche qu’il portait à sa ceinture. Il broya les feuilles entre ses mains tout en temps parlant :

    - Flor’Alista. C’est une plante qui pousse près des cadavres la plupart du temps. Elles donnent des fleurs rouges comme le sang. Et ses feuilles permettent de cautériser les blessures. Comme un héritage des défunts pour soigner les vivants. J’ai toujours trouvé ça beau.

    Il appliqua les feuilles contre le bandage et le pressa contre la plaie à la jambe de Seto.

    - Si je te raconte ça c’est pour trouver les mots. C’est quelqu’un à expliquer. Ça me rappelle tellement de chose.

    Sa voix était plus calme, les larmes l’avaient quitté. Elle était toujours triste mais résignée.

    - Je m’appelle Shake. J’ai combattu avec ton père à Dem’Breck. J’étais Résistant.

    Il esquissa un petit sourire comme si la situation l’amusait avec une certaine touche lugubre.

    - Je fais plutôt jeune hein ? C’est que je suis un Hybride, ces êtres mi-hommes, mi-draks tu sais. Je ne vieillis plus depuis longtemps. Je dois avoir dans les cent ans maintenant. Peut-être que demain mes os vont déraillés et que je vais finir paralysé et mourir ou peut-être que je vais vivre encore cent ans. Enfin passons…

    L’Hybride regarda Seto tristement. Ce dernier essayait de comprendre et d’assimiler tout ce qu’on lui disait. C’était un peu surprenant. Difficile à croire. Ce fût Shake qui brisa le silence en premier :

    - Tu dois avoir des questions. Ou quelques choses à dire. Je ne sais pas. Je ne vois pas quoi dire. Je ne pensais jamais revoir toi ou quelqu’un de ta famille. Je pensais que tu étais mort avec Délia en fuyant Dem’Breck. Il y a vingt ans.

    - Comment je peux te croire premièrement ?

    - Excellente question. Hum. Tu n’as qu’à regarder mes yeux, c’est pas les yeux d’un être humain.

    Ses yeux étaient jaunes avec quelques éclats orangés. Il n’y avait aucun blanc de l’œil. Seulement du jaune et de l’orange et au centre et au centre une pupille fine presque comme une fente.

    - Quand ton père est mort il a dû croire que j’étais mort. L’Être Obscur, ou le Dragon Volcanique comme tu veux, il m’a brûlé presque tous le corps. J’ai encore la cicatrice, dans le cou et un peu sur la joue.

    En parlant il défit le foulard qui lui cachait le cou pour dévoiler une peau rougeâtre et parfois violacé. La cicatrice remontait légèrement sur sa mâchoire comme le dessin d’une flamme.

    - Sauf que je n’étais pas mort. Pas totalement. Alors l’Être Obscur m’a récupéré pour exercer ses bourreaux et parfois il s’exerçait lui-même. Parce que ça le faisait rire... Il m’a marqué au fer rouge.

    Il déboutonna les premiers boutons de sa chemise et tira les deux pans de chemises pour faire apparaître la cicatrice. C’était comme un creux dans son torse. Un creux rougeâtre presque une empreinte, un cercle surplomblé par trois traits qui pouvaient ressembler à des griffes.

    Chapitre III: Partie 2

    - Tu sais ce que ça veut dire, demanda l’Hybride.

    - Dans la culture Éméréenne le cercle symbolise l’âme. Le trait du centre la domination, non ?

    - Les deux motifs sur les côtés représentent soit des griffes soit des ailes. Je saurais pas dire ce que c’est. La griffe symbolise la souffrance et l’aile le contrôle.

    - Mais pourquoi deux ?

    - La symétrie signifie l’éternité pour eux.

    - C’est une malédiction, demanda Seto après un court silence.

    - Je crois oui. J’ai jamais pu voir encore ce qu’elle faisait exactement mais s’en est une oui.

    L’Hybride reboutonna sa chemise et réajusta son foulard pour cacher sa cicatrice. Puis il jugea Seto du regard :

    - Ça ne prouve pas que mon histoire est vrai mais j’ai été marqué par les Éméréens. Cela fait de moi un ennemi d’ennemi. Presque un…

    - Si tu as connu Delia, le coupa sèchement Seto, tu dois savoir à quoi elle ressemble.

    - Bien sûr. Des cheveux noirs comme la nuit, des yeux marrons, mais si foncés qu’ils paraissent noirs eux aussi. Un nez très fin. La peau brunit par le soleil.

       Seto sentit une larme couler sur sa joue. L’Hybride ne mentait pas. Maintenant il était face à tout ce qu’il avait rêvé depuis petit. Depuis que sa mère lui avait dit qui était son père, il devait avoir quatre ans ce jour-là, il était si jeune. Il en rêvait. Maintenant il pouvait presque toucher du doigt le passé. Shake était un fragment de cet âge, les ruines devant lui aussi. Pourtant cela ne ressemblait pas à ce qu’il avait imaginé. C’était grandiose mais c’était triste. Il n’avait jamais pensé qu’il resterait que des débris. Il savait que la citadelle était en ruines mais les survivants l’étaient aussi. C’était un moment de gloire qui laissait place à la réalité. Aux morts, à la perte, aux cicatrices celles sur la peau et celles dans le cœur.

    NB: Il y a un article dédié à Flor'Alista ici.


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