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       C'est un souvenir un peu perdu. Perdu entre d'autres images, entre d'autres sensations, entre d'autres sentiments oubliés. Lointain et flou comme l'est le soleil qui se lève à travers la brume matinale. Le soleil perce à travers les liasses de brouillard pour éclairer les chemins humides et les champs recouverts de rosées. Ce fragment de vie perce lui aussi, il revient petit à petit, de plus en plus précis, de plus en plus net. Je ne sais plus combien d'étés sont passés. J'étais encore jeune et insouciant. J'avais encore cette mèche qui retombait devant mes yeux de garçon heureux et curieux. J'avais encore ces habits trop grands et colorés. Colorés comme l'étaient mes joies et mes rires. Cet enfant me semble étranger comme s'il n'était pas moi. Pourtant je me rappelle de mon enfance, de l'insouciance, de l'innocence, de l'existence joyeuse et épanouie.


       Joyeux et épanoui, oui. Épanoui tant que les herbes folles s'étendaient devant moi et non le bitume. Joyeux tant que je pouvais me perdre au milieu des arbres, des chemins, sans aucune trace humaine. Ah ! Comme le temps passait vite. Je partais peu après le déjeuner, j'allais connaître ces champs de la Nièvre avec fièvre de découverte. Je ne rentrais que le soir brûlé par le soleil. Mais comme l'après-midi était rempli ! Je rentrais tantôt trempé par la pluie, tantôt les joues et les bras rouges comme le crépuscule. Mais qu'importe le temps ! J'allais à travers les champs qui me semblaient infinis. Je respirais à grande gorgée le soleil bienfaiteur. La pluie ne gênait pas pour autant. J'aimais son odeur qui sortait de la terre humide. J'aimais sentir les gouttes ruisselantes sur ma peau, entendre le tapotement sucré des gouttes sur l'étang en contrebas.


       L'étang, oui... Qui était à mes yeux une véritable muse. Je tournais autour à pas feutrés à l'affût d'une petite onde dans l'eau preuve de la vie qui grouillait en son sein. Quelques fois je tombais nez à nez avec un ragondin. Il partait se réfugier dans l'eau à une vitesse prodigieuse. Une onde suivait sa fuite, légère et gracile. Mais l'étang atteignait le summum de sa beauté quand la pluie tombait et se mêlait à l'eau dans de petites étreintes magnifiques. Je me rappelle avoir décrit ces gouttes qui tombaient sur l'étang, les décrire comme « cette eau du ciel qui rendait toutes choses plus belles ». Parfois je partais au gré de mes envies, écrire. Je cherchais un endroit qui émerveillait mes yeux ou ravivait la flamme de mon cœur. Je m'asseyais sur l'herbe ou sur une souche et puis j'écrivais. J'écrivais et c'était tout. Il n'y avait rien d'autre que le paysage et la page blanche, plus rien du monde, plus rien de ma vie. Le temps s'arrêtait et j'écrivais.


       Et puis bien sûr il y avait la forêt. J'allais y emprunter des chemins toujours différents. Je voulais voir ce que je n'avais jamais vu. Contempler ce que je n'avais jamais contemplé. Il y avait ce chemin qui se séparait en deux, cette image est inscrite dans mon esprit et gravée sur mon cœur. Au loin j'entendais les hennissements des chevaux. Pour mon âme d'enfant c'était un chant. Le bruissement des feuilles sous mes pieds, une berceuse. Et le vent dans les branches une symphonie. La nature toute entière chantait des balades et des odes. Et je les entendais. Je les écoutais et je n'étais qu'un simple spectateur. Qu'un simple fidèle. La nature est encore cette entité. Cette nymphe que j'ai voulu connaître. Je l'ai connue. J'ai tenté d'apprendre chacune de ses facettes. Mais en vain. Elle est bien trop forte. Alors devant elle je m'incline car avec elle je culmine. Alors je l'aime car elle est le sang de mes veines. Et que jamais je ne l'inhume car elle est devenue l'encre de ma plume. Voilà donc ce qui me représente le mieux. Cette partie de ce que j'étais : sensible, rêveur et curieux. Cette partie de moi qui demeure encore. Cette partie de moi qui persiste et se ravit quand je retrouve cette nymphe.

    Note: J'ai écrit ce texte pour un devoir d'invention en cours de français dont le but était de raconter un souvenir d'enfance à la manière de Colette. Il fallait écrire quelque chose de poétique. Le thème m'a tout de suite inspiré. Cependant j'ai fait quelques corrections après coup car je trouvais certaines phrases mal formulées ou qu'il manquait de transition entre deux parties.


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